Intervention de Julien Gressot au Conseil général en soutien à la motion « Pour le développement d’un outil d’intégration par le biais d’une carte citoyenne »

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File:Solidarité sans papiers.jpgMonsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

1656 est une date importante pour nous, pour les Montagnes, car elle marque la naissance de la commune de la Chaux-de-Fonds.

Mais nos belles villes, bâties sur des terres inhospitalières, ne se sont pas érigées toutes seules. Des femmes et des hommes en sont les artisans. Leur effort résonne dans chaque brique, dans chaque trottoir, dans chaque pièce de patrimoine autour de nous.

La Chaux-de-Fonds, comme toute ville, est en mouvement constant. S’il s’arrête, tout s’arrête. La ville ne s’est pas bâtie par miracle, elle est le fruit d’un processus, d’un chemin, qui doit être entretenu pour ne pas disparaître sous les mauvaises herbes.

Ce sont d’abord les paysans vaudruziens pratiquant l’estivage qui sont venus et s’y sont installés progressivement. Ensuite, des Loclois et des Sagnards les ont rejoints. Puis ce fut au tour des Bernois et des Jurassiens.

Petit à petit, comme les ondes d’une pierre lancée dans un lac, les cercles se sont élargis, intégrant notamment Portugais, Italiens, Espagnols, dont la force de travail a changé et change encore le paysage des Montagnes. Puis l’afflux a continué, du reste de l’Europe, des continents africain, américain et asiatique. Ce processus est sans fin. Ce processus EST la ville.

Oui, bien plus que le nombre d’habitants, c’est sa dimension multiculturelle qui fait que nous ne sommes plus un hameau, un village, au mieux un bourg. L’entre-soi, bien que confortable, est un poison lent qui fige, tant l’économie que la culture et plus simplement notre capacité naturelle, animale, à créer du lien.

La Chaux-de-Fonds s’est construite par la migration dès son origine, elle n’existerait pas sans elle.

Mais un danger guette. Ce multiculturalisme, laissé en jachère mène irrépressiblement à l’exclusion, aux frustrations, aux inégalités de traitement et aux schémas délétères d’une pensée réductrice.

Pour en tirer le meilleur, les vagues de migration doivent être comprises, gérées et valorisées. Et c’est le bon sens même que de donner les meilleures chances à notre cité de se montrer sous meilleur jour en permettant à chacune et chacun l’opportunité de montrer tout son potentiel.

Ne pas le faire serait aberrant. Ne pas le faire serait dommageable.

C’est pour cela il est nécessaire de développer une politique d’intégration, principe validé par nos autorités lors de la séance du Budget 2021.

Notre ville est une cité multiculturelle riche de sa diversité et méritant à tout instant une attention particulière, pour permettre à chacune et à chacun d’y trouver sa place.

Bien que les chiffres, les faits et l’observation montrent l’importance du rôle des communautés étrangère pour notre ville, tant dans sa vie politique, culturelle, sportive et associative, de trop nombreuses situations, ici et partout en Suisse, révèlent l’incohérence et le cynisme du système d’asile et d’immigration.

L’accès à certains services pourtant reconnus comme vitaux et nécessaires, tels que la santé, l’accès à la domiciliation, le droit à un compte bancaire, est refusé à certaines catégories de population.

Alors que certaines personnes ont accès à tout, sans même se rendre compte du privilège que cela représente de vivre dans une société où l’on est accepté, d’autres vivent et subissent des situations ubuesques.

Ce phénomène engendre une société à deux vitesses, désastreuse tant sur le plan moral qu’éthique, économique ou politique.

Pour toutes ces raisons, le POP propose aujourd’hui d’instaurer une carte citoyenne à destination de toute la population, y compris des sans-papiers et des personnes au statut migratoire précaire.

Cette proposition est inspirée des villes sanctuaires aux États-Unis et par certaines villes suisses qui mettent en place ce type d’outil d’intégration, à commencer par Zürich, qui a toujours su tirer parti de ses démarches progressistes pour devenir la métropole qu’elle est aujourd’hui.

Cette carte permettra l’accès à certains services de base, comme les services communaux de la sécurité publique, les bibliothèques, les infrastructures culturelles et sportives, et la gérance communale.

Mais ce système pourrait aussi servir à l’ouverture de comptes en banque, à l’accès aux assurances et notamment aux assurances-maladies, à des gérances, et à tout ce qui pourra servir à faire de ces personnes les forces vives de notre belle Ville. Pour cela des contacts et des négociations devront être entrepris avec différentes structures, par exemple la BCN.

Les études réalisées sur les villes sanctuaires aux Etats-Unis démontrent des effets très positifs découlant de l‘instauration d’une carte citoyenne communale. Je vous invite à les consulter, elles sont édifiantes !

Tout d’abord, elle améliore la santé des habitantes et des habitants, qui bénéficient d’un meilleur suivi, ce qui, sur le long terme, coûte moins cher à la société. Les situations ne sont plus traitées en urgence, au cas par cas, ce qui coûte cher à la collectivité, puisque ces coûts pourraient être couverts par les assurances.

La question de la santé est d’autant plus sensible en période de pandémie où le contrôle et l’accès aux soins est d’une importance cruciale pour surveiller la propagation des virus au sein de la population dans son ensemble.

Les études montrent également que la carte citoyenne offre un meilleur accès au monde professionnel et une meilleure intégration des travailleuses et travailleurs concernés. L’intérêt économique est donc évident pour les collectivités publiques qui mettent en place ce genre de système et pour les finances publiques qui bénéficient de davantage de recettes fiscales.

Mais ne soyons pas naïfs. Pour mettre en place de manière efficace et juridiquement correcte ce système, les études effectuées par Zurich démontrent qu’il faut être attentif à plusieurs éléments clefs.

Tout d’abord elle ne doit pas entrer en conflit avec les lois fédérales et cantonales, notamment celles en lien avec l’émission des cartes d’identité et du statut migratoire des personnes. La carte n’a en effet pas vocation à pouvoir être utilisée lors des contrôles d’identité avec la police cantonale ni à offrir un statut migratoire ou un droit au travail que la personne n’aurait pas.

Ensuite, la question de la protection des données doit également être étudiée avec soin pour que cette carte ne serve pas à traquer les sans-papiers et leur apporte une véritable plus-value. Cela peut être résolu en règlementant l’enregistrement des données sur un fichier crypté dans un service communal tenu au secret professionnel.

Enfin, la carte citoyenne est pensée avant tout comme un outil favorisant l’intégration, mais elle n’a pas la prétention de régler tous les problèmes, loin s’en faut.

Cette carte doit être pensée comme un outil d’intégration au sein d’un dispositif qui devrait être réfléchi et mis en place par le biais du délégué à l’intégration, dont nous souhaitons l’inclusion de l’étude de la Carte citoyenne dans le cahier des charges.

Pour nourrir nos réflexions et évaluer les besoins réels, différentes associations chaux-de-fonnières des domaines de l’asile, de la migration et de la précarité ont été approchées. Les estimations du nombre de bénéficiaires potentiels sont évidemment difficiles à fournir mais une centaine d’individus pourrait être sans-papiers, auxquels se rajoutent les personnes aux statuts précaires, qui seraient quelques centaines. Les associations qui ont répondu ont toutes relevé l’intérêt de développer de tels outils d’intégration dans notre ville et se sont montrées intéressées à participer aux discussions et au développement éventuel du projet.

Pour éviter que cette carte ne se transforme en stigmate, nous proposons un second volet à cette étude : à savoir que cette carte soit destinée à l’ensemble de la population. En effet, si la carte ne sert qu’aux sans-papiers, la présenter équivaudrait à dévoiler son statut migratoire. Il s’agit donc de combiner cette carte citoyenne à destination des populations de sans-papiers et autres statuts précaires avec une réflexion plus vaste pour l’ensemble de la population résidente. Cela permettrait ainsi d’emmancher une réflexion sur les nombreuses cartes qui existent actuellement en Ville.

Le projet est d’étudier la possibilité de combiner les différentes cartes et de les mutualiser. Pensons aux cartes de bibliothèques, d’infrastructures sportives, à la monnaie locale, éventuellement aux titres de transport, etc. Il y a là non seulement un potentiel d’économies financières mais aussi de plastique ! et la possibilité de disposer d’une carte commune pour toutes les chauxoises et tous les chauxois.

Cette carte permettrait de créer, ou de recréer, un sentiment d’appartenance et de fierté vis-à-vis de notre belle Ville. Elle pourrait devenir une véritable carte de visite pour notre Cité qui deviendrait la première cité romande à mettre en œuvre cette démarche ! Cela pourrait donc contribuer à conserver nos habitantes et habitants et, qui sait, à en faire venir de nouveaux en infléchissant la dynamique actuelle que nous évoquions lors de la séance du budget. C’est bien connu, la meilleure ambassadrice de La Chaux-de-Fonds est sa population, agissons donc sur ce point !

Des réductions et des accès facilités à divers services ou institutions pourraient aussi permettre de valoriser la domiciliation sur le territoire chaux-de-fonnier. On pourrait imaginer y joindre le carnet culturel ou d’autres offres, des réductions sur l’accès à des infrastructures ou services pour offrir une plus-value aux résidents. Il serait également possible de nouer des partenariats avec, par exemple, des cinémas, des restaurants ou des cafés comme c’est le cas à Zürich. Nous souhaitons donc que ces aspects soient intégrés à l’étude.

Nous utilisons l’outil de la motion pour qu’une étude approfondie soit effectuée basée sur les exemples existants, éventuellement complétée d’études en partenariat avec l’Université de Neuchâtel. Différents aspects devront être éclaircis dans cette étude et certains ont d’ores et déjà été examinés par l’Université de Zurich, la Ville de Zurich ainsi que par le Conseil fédéral, ce qui devrait permettre de faciliter l’examen demandé.

Vous l’aurez compris, cette carte est le reflet d’un projet qui n’est ni conçu pour faire la charité, pour traquer, stigmatiser ou parquer des personnes au statut social précaire. Cette carte, ce projet, est un symbole d’unification et la mise en place d’une mesure économique, sociale et politique concrète ayant à cœur l’égalité de traitement.

Pour que notre société soit davantage inclusive, nous vous proposons donc d’accepter notre motion demandant d’étudier l’instauration d’une carte citoyenne communale à destination de toutes et de tous.

 

Intervention de Julien Gressot au Conseil général de La Chaux-de-Fonds, le 18.02.2021

(Crédit photo : N’importe lequel)

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Communiqué de presse : « Sans-papiers : carte d’identité communale à l’étude » à La Chaux-de-Fonds – POP · 19 février 2021 at 10 h 56 min

[…] Le texte de l’intervention au Conseil général, par Julien Gressot, est consultable ici. […]

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